Revenir au boulot après une dépression

Les supérieurs immédiats, les ressources humaines et les collègues doivent s’impliquer lorsque des accommodements sont mis en place.

Par Pierre-Etienne Caza paru dans Actualités UQÀM

Selon l’Organisation mondiale de la santé, la dépression deviendra en 2020 la première cause d’invalidité. «Dans un tel contexte, l’un des défis qu’ont à relever les employeurs est de mettre en place des accommodements permettant à leurs employés d’effectuer un retour au travail durable», affirme la doctorante en psychologie Marie-France Bastien, qui a cosigné un article sur le sujet dans Journal of Occupational Rehabilitation avec le professeur du Département d’éducation et pédagogie Marc Corbière.

Directeur de la Chaire de recherche en santé mentale et travail au Centre de recherche de l’institut universitaire en santé mentale de Montréal, Marc Corbière mène depuis quelques années une étude financée par les IRSC qui vise à dépeindre la réalité de chacun des acteurs centraux du retour au travail après une dépression. Les résultats publiés avec Marie-France Bastien portent sur le rôle des employeurs et des cadres des ressources humaines dans le processus.

Les deux chercheurs ont effectué leur étude auprès de 219 entreprises de la grande région de Montréal, dont 86 % comptaient plus d’une centaine d’employés. Dans chacun des cas, on leur a demandé si l’entreprise avait déjà eu l’occasion de réaliser des accommodements de travail pour les employés ayant reçu un diagnostic de dépression effectuant un retour au travail Et, si oui, lesquels.

La relation avec le superviseur

Sur 219 entreprises, 170 ont confirmé avoir mis en place des accommodements, tels qu’un aménagement de l’horaire (96 %), un aménagement des tâches (48 %) et des changements de poste et d’environnement de travail (37 %). «Ces pratiques sont louables, analyse la doctorante, mais elles sont strictement liées au travail et laissent de côté tout l’aspect relationnel, notamment la relation avec le superviseur immédiat et les collègues.»

La littérature et les guides de bonnes pratiques sur le sujet sont pourtant sans équivoque: il faut inclure tous les acteurs pour assurer un retour au travail efficient. «Cela implique d’aller au-delà du poste au sens strict, insiste Marie-France Bastien. Il faut viser une concertation de toutes les parties prenantes, notamment l’employé, les collègues, le superviseur et le médecin.»

En agissant ainsi, on pourra mettre en lumière des problématiques sous-jacentes qui seraient autrement passées inaperçues, comme un conflit avec le superviseur. «L’objectif est de favoriser un retour durable et en santé. Or, si cette relation a été un facteur dans l’arrêt de travail, elle aura forcément une incidence sur le retour et le maintien en emploi, poursuit la doctorante. Il faudra donc s’assurer de la motivation du superviseur à vouloir mettre en place des accommodements de travail, de son attitude, de son soutien et de son empathie auprès de l’employé qui effectue un retour.»

Le sujet de sa thèse

Au cours des 15 dernières années, Marie-France Bastien a été consultante en réadaptation professionnelle auprès d’employés aux prises avec un trouble de santé mentale courant – dépression, trouble anxieux, trouble d’adaptation ou stress post-traumatique. «J’étais aux premières loges pour observer tous les acteurs impliqués dans un retour au travail, de l’employé au superviseur, en passant par les ressources humaines, le syndicat, le médecin et le psychologue», raconte-t-elle. Dans le cadre de sa thèse, elle s’intéresse au rôle du superviseur immédiat dans la prévention des problèmes de santé psychologique au travail.

Revoir la charge de travail

Lorsqu’elle est perçue comme très exigeante pour l’employé et cumulée à une faible latitude décisionnelle et un faible soutien social, la tâche de travail est souvent un facteur précipitant de l’arrêt de travail, précise Marie-France Bastien. L’aménagement de l’horaire et la modification des tâches sont donc de bonnes pratiques, réitère la chercheuse, mais seulement si cela mène à une diminution des tensions liées au travail et n’occasionne pas une surcharge pour les collègues lors du retour.  «Le cas typique est un retour progressif sur 8 à 12 semaines, avec diminution de la tâche de travail. C’est un bon accommodement, mais il faut s’assurer de bien évaluer ce que sera la tâche régulière après le retour progressif et si d’autres éléments risquent de nuire à un retour durable – stress important, relations tendues, exigences élevées. Autrement, l’employé risque une rechute.»

Le réaménagement de la tâche de travail, durant le retour progressif et par la suite, aura, en effet, une incidence sur le reste de l’équipe. «Il ne faut pas que chacun ait l’impression d’avoir une surcharge de travail à cause des accommodements consentis à une personne, note la doctorante. Il faut donc s’assurer d’informer les membres de l’équipe des modalités de retour de leur collègue et les sensibiliser aux problématiques de santé mentale.»

Tout le monde y gagne

Mettre en place de telles mesures de concertation demande du temps aux entreprises, mais cela en vaut la peine. «Si on ne met pas en place un bon programme de retour au travail pour les employés, le problème réapparaîtra sous forme de présentéisme, d’absentéisme et éventuellement de rechutes», observe Marie-France Bastien.

Aucun employeur n’est épargné par les problèmes de santé mentale, insiste-t-elle. «C’est une réalité qui touche tout le monde. Si on met en place de bonnes stratégies, le travailleur, l’employeur et l’ensemble de la société y gagnent, car une meilleure satisfaction au travail influence le bien-être psychologique, lequel se répercute sur la productivité, le maintien en emploi ainsi que les relations sociales et familiales. Tout est interrelié!»

Quelques observations tirées de l’étude

Les symptômes résiduels de la dépression passent parfois inaperçus et exigent des accommodements de travail spécifiques;

Les employeurs/cadres des RH sont généralement peu outillés pour évaluer les limitations fonctionnelles de l’employé et ses besoins d’accommodements de travail;

Pour l’employé, la divulgation de son trouble mental et/ou de ses besoins en matière d’accommodements de travail demeure des enjeux sensibles.