Retour au travail : Cibler les obstacles perçus et évaluer le sentiment d’efficacité pour les surmonter

Article paru dans Prévention au travail de l’IRSST 

Retour au travail : Cibler les obstacles perçus et évaluer le sentiment d’efficacité pour les surmonter

De Claire Thivierge

Retourner au travail après avoir vécu un trouble mental courant (TMC) [soit, entre autres, trouble de l’adaptation, dépression, trouble anxieux] ou un trouble musculosquelettique (TMS) peut, pour certains, ressembler au parcours du combattant : un chemin semé d’obstacles, dont quelques-uns peuvent sembler infranchissables. Outre les difficultés que cette démarche soulève pour ces personnes, l’absence prolongée du travail génère des coûts humains et financiers considérables.

À l’échelle internationale, des chercheurs s’interrogent sur les mécanismes complexes qui interviennent dans le processus de retour en emploi de personnes en arrêt de travail pour cause de maladie, dont les notions d’obstacles et de sentiment d’efficacité pour les surmonter sont mises en exergue. Toutes deux sont en effet essentielles pour évaluer les déterminants qui entrent en jeu, en particulier lorsqu’il s’agit de travailleurs atteints d’un TMC ou d’un TMS. Bien que la littérature spécialisée émette l’hypothèse que les facteurs biopsychosociaux sont en grande partie communs pour agir dans le cheminement de ces personnes vers leur retour au travail (RAT), peu importe la raison de leur absence, elle présente toutefois des lacunes qui restent à combler.

Dirigée par Marc Corbière, chercheur en santé mentale et travail et professeur en counseling de carrière au Département d’éducation et de pédagogie de l’UQAM, une équipe scientifique a voulu colmater la brèche en concevant un outil adapté à ces deux populations particulières, atteintes soit d’un TMS ou d’un TMC. Les chercheurs se sont inspirés de la documentation spécialisée existante pour bâtir un nouveau questionnaire qu’ils ont nommé Obstacles au Retour au Travail Et Sentiment d’Efficacité pour les Surmonter (ORTESES). Ils ont dressé une liste systématique d’obstacles que peuvent percevoir les individus absents du travail en raison d’un TMC ou d’un TMS, puis les ont regroupés en 46 énoncés, répartis dans 10 dimensions conceptuelles. « Ce questionnaire sensible et pointu permet d’évaluer ces différentes dimensions, comme l’appréhension d’une rechute ou encore, la relation difficile avec le supérieur immédiat, et ce, tout en tenant compte des spécificités des personnes aux prises avec un TMS ou avec un TMC », explique Marc Corbière. L’équipe a ensuite fait appel à des employés en arrêt de travail, inscrits pour la plupart dans des cliniques de réadaptation au Québec, pour les inviter à participer à la validation de cet outil novateur.

Des résultats significatifs

Cette étape de validation a entre autres confirmé que les deux groupes de travailleurs en question engagés dans un processus de RAT soit à cause d’un TMC, soit d’un TMS, partagent les mêmes préoccupations alors qu’ils sont engagés dans un processus de RAT.

Ainsi, grâce au questionnaire ORTESES, les cliniciens disposent dorénavant d’une liste systématique et détaillée pour évaluer les obstacles de leurs clients atteints d’un TMC ou d’un TMS. « En peu de temps, ils peuvent passer à travers cette liste exhaustive pour évaluer systématiquement si leurs clients perçoivent certains de ces obstacles à leur RAT et donc bien les identifier. Ils peuvent ensuite demander à la personne si elle est en mesure de les surmonter », signale Marc Corbière. Dans le cas où le portrait qui ressort de cet exercice se révèle passablement négatif, c’est-à-dire lorsque le travailleur a l’impression d’être incapable de venir à bout des embûches qui, selon lui, l’empêchent de reprendre son activité professionnelle, le clinicien peut alors le seconder pour qu’il puisse développer des stratégies qui l’aideront à y parvenir. « Ce travail à deux pourra bien évidemment être fructueux si une alliance solide entre le clinicien et son client a été mise en place », résume l’auteur principal du rapport de recherche.

Répondre au questionnaire ORTESES peut également s’avérer révélateur pour les clients : cela les amène parfois à prendre conscience des facteurs qui freinent leur démarche de RAT, ce qu’ils n’auraient peut-être pas fait autrement. Les chercheurs l’ont constaté à maintes reprises en procédant au recueil des données. « Souvent, la personne nous disait : ‘C’est super, parce que ça m’a permis de bien comprendre ce que je perçois comme obstacles dans mon processus de retour au travail, d’avoir un portrait général des éléments qui peuvent l’entraver et par conséquent, nous donner, à moi et mon intervenant, des pistes pour y travailler’ », témoigne Marc Corbière. Le travailleur concerné peut alors faire le point sur ces barrières et sur sa capacité à les contourner. Ainsi, en plus de combler un vide théorique dans la littérature scientifique, le nouveau questionnaire offre une clé d’accès permettant d’établir un dialogue constructif entre les deux interlocuteurs, client et clinicien. Après avoir défini les dimensions conceptuelles problématiques du travailleur, le clinicien peut en effet entamer une discussion avec lui et s’adjoindre sa collaboration pour lui proposer une intervention et des stratégies pertinentes à son cas particulier. Une fois l’intervention terminée, il peut également faire un suivi en soumettant à nouveau le questionnaire à son client pour évaluer si certains des obstacles en question ont disparu, ou s’ils persistent dans sa vie professionnelle et personnelle.

Un outil valide, utile et gratuit

La phase finale du travail des scientifiques était de vérifier la validité prédictive de l’ORTESES. Pour ce faire, les participants à l’étude devaient consentir à fournir aux chercheurs de l’information sur leur retour au travail, ou sur les raisons expliquant qu’ils n’y soient pas retournés. Fait intéressant à mentionner, 90 % de ceux qui étaient aux prises avec un TMC et 88 % des sujets atteints d’un TMS ont accepté de se prêter au jeu, ce qui constitue un excellent taux de réponse.

Le suivi téléphonique a permis de constater que 64 % des membres du premier groupe et 68 % du deuxième avaient repris leurs activités professionnelles six mois après avoir répondu à l’ORTESES. Par contre, lorsqu’il s’agit des dimensions conceptuelles prédictives du RAT en tant que telles, « certaines sont plus spécifiques à la population ayant un trouble mental, comparativement à celle qui a un trouble musculosquelettique ». Par exemple, dans le cas des travailleurs atteints d’un TMS, les principaux obstacles perçus sont l’appréhension d’une rechute, les exigences du poste de travail, le sentiment d’injustice organisationnelle et la relation difficile avec le supérieur immédiat. Pour ce qui est des travailleurs vivant avec un TMC, seules les exigences du poste de travail et les difficultés cognitives ressortent de façon significative de l’évaluation.

Pour l’instant, les premiers intéressés, soit les praticiens des cliniques de réadaptation du Québec, ont très bien accueilli le lancement de l’ORTESES, en juin dernier. « On espère que le questionnaire ORTESES permettra à des personnes qui présentent un problème de santé, TMS ou TMC, de retourner à leur poste de travail de façon beaucoup plus aisée, sans trop d’encombres, avec l’appui et l’accompagnement de leurs intervenants. Il faudra par contre penser à intervenir en milieu de travail, car les personnes aux prises avec ces problèmes sont encore très stigmatisées, notamment celles qui vivent avec un TMC », conclut Marc Corbière.

Pour en savoir plus

CORBIÈRE, Marc, Alessia NEGRINI, Marie-José DURAND, Louise ST-ARNAUD, Catherine BRIAND, Jean-Baptiste FASSIER, Patrick LOISEL, Jean-Philippe LACHANCE. Validation du questionnaire Obstacles au Retour au Travail Et Sentiment d’Efficacité pour les Surmonter (ORTESES) auprès de travailleurs avec un trouble mental courant ou un trouble musculosquelettique, Rapport R-938, 77 pages.